Retrouvez ci-dessous le texte adopté lors du conseil fédéral 1er et 2 avril 2023
Exposé des motifs
En 2012, EELV lançait un groupe de travail de lutte contre l’extrême droite.
Dix ans après l’accession au second tour de l’élection présidentielle par Jean-Marie Le Pen et alors que sa fille venait de recueillir plus de six millions de voix à cette même élection, la pertinence et l’intérêt de ce groupe ne faisait aucun doute.
Celui-ci a produit un certain nombre d’argumentaires, d’éléments de réflexion et de communication, de la matière sans doute insuffisante mais utile, avant de s’éteindre progressivement il y a quelques années non par choix mais par manque de transmission et d’énergie militante pour reprendre cette mission.
Pourtant, le besoin politique reste là, fondamental et urgent. Depuis, l’extrême droite n’a pas reculé dans notre pays, bien au contraire. Le paysage politique actuel a de quoi inquiéter : le Front National devenu Rassemblement National a été présent au second tour des deux dernières élections présidentielles, il est arrivé en tête de l’élection européenne de 2019, gouverne plusieurs villes et est aujourd’hui représenté dans l’ensemble de nos assemblées territoriales et parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale avec un groupe de 88 député·e·s.
Et ce, alors même que le RN restait concurrencé par d’autres mouvements politiques de droite radicale ou d’extrême droite, à l’instar du tout nouveau parti Reconquête qui a réuni 7% des suffrages au premier tour de la dernière élection présidentielle malgré une suite de condamnations en justice de son candidat et ses soutiens pour des propos et actes délictueux. Non seulement cette division n’a pas affaibli le RN mais l’existence d’autres courants au discours volontairement plus radical et provocateur contribue à une stratégie commune et au déplacement de la “fenêtre d’Overton”, participant ainsi activement à une stratégie de “centralité” du parti de Marine Le Pen.
Un peu à la manière de la guerre fratricide annoncée entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret en 2002, la diversification actuelle de l’offre politique dans le champ de l’extrême droite est loin d’être un signe de faiblesse. L’extrême droite se renforce de ses effectifs, d’un regain de moyens (y compris publics), de groupuscules qui se restructurent et d’un discours qui a imprégné l’espace public, jusqu’à procéder ouvertement par intimidation sur des journalistes, des élu·e·s, des associations. Elle bénéficie aussi de l’appui de médias concentrés aux mains d’idéologues fortunés. Nous avons une bataille médiatique et culturelle à mener quand la lutte contre le dérèglement climatique n’a représenté que 3% du temps de parole pendant la dernière élection présidentielle, alors que l’extrême droite a réussi à imposer ses thèmes et sa grille de lecture au détriment des réels enjeux, ce qui a manifestement bénéficié à la campagne de Marine Le Pen.
Face à l’accélération du RN dans sa course à la “normalisation” et la recrudescence d’actes violents, d’intimidation, le cordon sanitaire n’a jamais été aussi faible. L’accès de leurs élu·e·s à des fonctions importantes et éminemment symboliques au sein de nos assemblées est aujourd’hui permis par les droites, des Républicains jusqu’à la majorité présidentielle. Les mêmes qui refusent de soutenir les candidatures de gauche ou écologistes dans un duel face à l’extrême droite lors des dernières élections législatives, contribuant à la confusion du paysage politique.
Conséquence de sa stratégie de dédiabolisation, l’extrême droite se trouve institutionnalisée, en partie banalisée, parfois même utilisée par des partis conservateurs qui, par choix cynique ou faiblesse idéologique, vont jusqu’à reprendre une partie de son projet et de son argumentaire. Réunir le camp des conservateurs tout en diabolisant les mouvements sociaux, les organisations de gauche et écologistes, c’est le risque que certains partis rejouent le front contre front, en choisissant le front national plutôt que le front populaire. Ce renversement de valeurs n’a rien de nouveau mais s’accentue et fait écho à des situations similaires voire plus graves encore dans d’autres pays européens. C’est aussi le fruit de tactiques dangereuses et cyniques, déjà expérimentées par le passé et reproduites par le Président de la République et son mouvement politique, qui pensent que la présence de l’extrême droite est leur meilleure garantie pour être élu·e·s et réélu·e·s. Ces stratégies sont à analyser et à combattre, sur tous les plans.
Nous dressons aujourd’hui le constat qu’il est plus que jamais nécessaire de produire le socle idéologique écologique à même de démonter les discours de l’extrême droite. L’extrême droite est un danger quotidien, dont la violence s’exerce de multiples façons, y compris aujourd’hui par des techniques de désinformation et de cyberharcèlement. Son installation dans les institutions ne fait qu’accroître son pouvoir de nuisance et la rapprocher du pouvoir pour mettre en œuvre son projet mortifère. C’est pourquoi nous devons nous réorganiser, pour refaire de la lutte contre l’extrême droite une priorité politique.
Les écologistes peuvent et doivent démontrer l’ineptie de leurs propositions de repli et de haine, déconstruire leur argumentaire présenté comme social lorsqu’il n’apporte en réalité aucune solution réelle aux urgences sociales, environnementales et démocratiques, rappeler la continuité historique de ce courant politique construit sur la xénophobie et dont le projet est un danger pour les droits et les libertés. Notre rôle est de proposer un modèle de société abouti et convaincant à même d’emporter la bataille culturelle et d’opposer à cette vision rance d’une société repliée sur elle-même, violente et destructrice, celle d’un avenir garantissant l’habitabilité de la planète, la démocratie et la justice sociale.
Motion
Le Conseil Fédéral, réuni les 1 et 2 avril 2023 :
- acte la création d’une Commission de lutte contre l’extrême droite, conformément à la feuille de route adoptée dans le cadre du dernier congrès par le nouveau Bureau exécutif ;
- confie à cette nouvelle commission les principales responsabilités suivantes, en lien avec les instances pertinentes du mouvement (Conseil programmatique, commissions thématiques et groupes de travail, Bureau exécutif, élu·e·s, etc.) : rôle de cellule de veille sur les extrêmes droites en France et en Europe, proposition de méthodes de riposte rapide, recueils de témoignages permettant l’analyse de l’action de l’extrême droite dans les territoires et dans les institutions, travail de renforcement doctrinal et d’analyse électorale et sociologique en lien avec les intellectuel·le·s et le monde académique, veille et réflexion sur le rôle des médias, leurs responsabilités et leur déontologie, mise en place de cycles de formation et de campagnes au long court (pendant et en dehors des périodes électorales), accompagnement des militant·e·s dans les territoires, lien avec les autres organisations de lutte contre l’extrême droite afin de faciliter les communications et actions communes, travail avec d’autres partis politiques européens pour construire des actions et un discours communs ;
- demande au Bureau exécutif d’assurer dans les prochaines semaines le lancement effectif de cette commission : création d’outils dédiés, ajout de la mention de la commission sur le site internet d’EELV pour pouvoir s’y inscrire, envoi d’une newsletter dédiée pour inviter les adhérent·e·s et sympathisant·e·s à y adhérer, contact des personnes ayant rejoint cette année le groupe de travail de lutte contre l’extrême droite en ligne et relance des personnes l’ayant fait l’année dernière pour les informer de la création de la commission ;
- mandate le membre du Bureau exécutif délégué au projet et à la riposte et les Secrétaires nationaux adjoints en charge du suivi des commissions pour mettre en place un bureau provisoire, ce dernier ayant pour fonction de préparer une AG qui devra se tenir avant la fin de l’année et d’animer collégialement la commission dans les premiers mois pour qu’elle puisse commencer sans attendre ses travaux ;
- demande à la commission de travailler de manière prioritaire dans les prochains mois à la proposition d’actions et événements dans le cadre des Etats généraux de l’écologie, à l’organisation d’au moins un atelier aux JDE 2023, à la rédaction d’un tract-manifeste « L’écologie politique, meilleur rempart contre l’extrême droite », ainsi qu’à la préparation de sa feuille de route 2023-2024 et des modalités de désignation de son futur bureau.