Connaître, identifier et combattre les écologies identitaires et réactionnaires
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Retrouvez ci-dessous la motion adoptée lors du conseil fédéral des 30 novembre et 1er décembre 2024.


Résumé

Les discours sur l’écologie politique sont d’une grande diversité doctrinale et théorique, qui ne s’inscrit pas toujours à gauche politiquement.

Le corpus idéologique d’extrême-droite et l’enrichissement des connaissances scientifiques font constater l’existence du risque de montée en puissance de discours écologistes identitaires et réactionnaires.

Prendre en compte cette réalité théorique, doctrinale et politique est crucial pour combattre ces appropriations et éviter le glissement d’une partie du camp écologiste vers des thèses réactionnaires ou identitaires. Au contraire, éluder cette dérive affaiblit notre capacité à identifier et combattre ces courants, au détriment d’une clarification nécessaire de notre discours écologiste ancré au sein de la gauche non-productiviste.

Exposé des motifs

Le corpus idéologique d’extrême-droite et l’état des connaissances académiques imposent le constat du risque de montée en puissance de discours écologistes, identitaires et réactionnaires. Les discours sur l’écologie politique ne s’ancrent pas forcément à gauche.

Sans légitimer ces appropriations, nous devons admettre leur existence, savoir les reconnaître pour mieux les combattre.

L’objet de cette motion n’est pas de se faire écho des invectives voulant nous décrédibiliser, comme le qualificatif “d’écofascistes”, utilisé comme insulte. Mais “l’ambiguïté doctrinale fondamentale”[1] de certains courants des écologies politiques et d’associations écologistes ou de protection animale [Annexe, 2], de même que les nombreuses instrumentalisations conservatrices, appellent une nécessaire clarification des discours autour de notre vision de l’écologie politique.

Nous privilégions l’expression de « discours écologistes identitaires et réactionnaires » au détriment de la notion « d’écofascismes”, utilisée notamment par Antoine Dubiau[3]. Puisque le principe identitaire est à la base de toutes les extrêmes-droites modernes[4], le terme « écologies identitaires » évite les controverses existant autour de l’équivalence ou non entre fascisme et extrême-droite.

De dangereuses passerelles existent vers l’extrême-droite.

Ainsi, quand Hugo Clément estime normal d’aller “débattre” avec l’extrême-droite à l’invitation de Valeurs Actuelles, il postule, qu’il est possible de discuter avec elleux parce que l’importance de la question écologique autoriserait un dépassement du cordon sanitaire ; il légitime leur appropriation de la question. À cette même soirée, Bardella déclarait “Il ne faut pas laisser l’écologie à la gauche”, faisant volontairement écho au libelle de 1995 d’Henry Coston, militant antisémite et ancien collaborateur (intitulé Non! L’écologie n’est pas de gauche).

Des appropriations racistes de l’écologie ont émergé en continuité avec le discours traditionnel de l’extrême-droite.

Brenton Tarrant, auteur de la tuerie islamophobe de Christchurch (Nouvelle-Zélande), se revendiquait lui-même “écofasciste” et mobilisait le concept d’écologie des populations, consistant à essentialiser des groupes “géo-ethniques” en les associant à des territoires, ce qui débouche sur le concept “d’ethnosphères” selon lequel le monde serait structuré en zones géographiques peuplées par des groupes “ethniques” spécifiques.

Ces courants usent aussi de l’idée de retour à la terre, justifiant une vigilance quant aux discours la mettant en avant. En effet, pour une partie des tenants de discours écologistes identitaires et réactionnaires, la Terre et la « race » sont intimement liées, supposant, dans l’anticipation d’une prétendue “guerre des civilisations”, un retour au sol pour préserver la pureté de cette prétendue race. Par exemple, « Des racines et des elfes », association d’extrême-droite, promeut un « réenracinement identitaire et communautaire des Européens » et a acquis un terrain avec maison (la « maison des Elfes ») pour y former et diffuser des revendications identitaires et néopaïennes[1].

À cela s’ajoutent de dangereux mais fréquents glissements sur la promotion du local, vers : le rejet de l’autre et le retour à la « terre-patrie » (et les femmes au lavoir) ; la « nécessaire » protection des autres animaux, changée en haine envers d’autres humains[3] ; la protection du vivant, glissant vers les slogans “pro-vie” et anti-IVG.

Au regard de ces exemples, deux mouvements semblent s’opérer.

D’un côté, certaines personnes se réclamant écologistes opèrent un glissement vers des discours  écologistes identitaires et/ou réactionnaires, aboutissant à une convergence avec certains courants d’extrême-droite.

D’un autre côté, une partie de l’extrême-droite intègre opportunément l’écologie à sa doctrine identitaire, réactionnaire, raciste, sexiste.

Face à ces deux mouvements distincts mais intrinsèquement liés, nous pouvons lutter :

  • En interne, en agissant comme des vigies contre ces dérives, en identifiant certains signaux faibles à forts (recours aux théories néo-malthusiennes[6], certains discours complotistes, effondristes[7] [8], survivalistes, certains courants techno-critiques, …) et en luttant contre ces dérives par la clarté de nos discours envers certains concepts.
  • Vis-à-vis des organisations et de la pensée d’extrême-droite, en refusant activement toute forme de convergence.

Motion

Le Conseil fédéral des Écologistes :

  • Reconnaît les dangers que pose la montée de discours écologistes identitaires et réactionnaires, contraires aux valeurs de notre écologie politique ;
  • Demande au Bureau exécutif de veiller à ce que Les Écologistes ne permettent pas à l’extrême-droite de trouver des moyens de légitimation, en se rendant sur les médias favorisant, dans leur traitement, l’extrême-droite ;
  • Considère qu’il est nécessaire de respecter le cordon sanitaire y compris lorsqu’il s’agit de questions / mobilisations écologiques, environnementales ou sociales ;
  • Se positionne comme des vigies contre l’écologisation des principes identitaires et essentialisants, notamment par des cursus de formation à l’Académie verte.

Notes

[1] François Stéphane, Les verts-bruns. L’écologie de l’extrême-droite française, Le Bord de l’eau, 2022

[2] Comme Brigitte Bardot qui, par exemple dans le cadre de ses activités pour la Fondation Brigitte Bardot, prétextait de la défense des animaux pour qualifier les habitant·e·s de La Réunion de « population dégénérée » d’une « île démoniaque » aux « traditions barbares » (2019).

[3] Dubiau Antoine, Écofascismes, Caen, Éditions Grevis, 2022, p. 7, qui considère comme une posture paresseuse l’équation « écologie = forcément à gauche »

[4] Par exemple, Frédéric Neyrat, « Une hégémonie d’extrême-droite. Étude sur le syndrome identitaire français », Revue Lignes, « Les nouvelles droites extrêmes », 2014/3, n° 45

[5] François Stéphane, Les verts-bruns, op cit.

[6] Car le néomalthusianisme véhicule des biais racistes : les populations des pays Suds, visées par les réductions de population ainsi prônées, sont donc considérées comme sacrifiables ou dispensables et fautives.

[7] Car la collapsologie ouvre des potentialités aux discours survivalistes. Exemple : Piero San Giorgio, Survivre à l’effondrement économique, 2011. L’auteur est proche d’Alain Soral et de groupuscules néo-nazis, et propose des zones rurales autosuffisantes pour résister aux vagues migratoires post-effondrement.

[8] La sacralisation du retour à la terre est une écologisation essentialisante de l’antimodernisme et du mythe du rural éternel (donc de la souche). Par exemple, Hervé Juvin, ancien député RN, est fondateur du Parti Localiste, vantant le local comme l’outil de séparation des cultures et civilisations.